«Dar Daïf» fait partie des rares projets qui symbolisent le tourisme écoresponsable. L’établissement a été primé à plusieurs reprises, au Maroc et à l’étranger, en tant qu’icône du tourisme vert. C’est la 1ère maison d’hôtes labellisée Clef Verte au Sud de l’Atlas. Zineb Datchary, co-fondatrice de l’enseigne, nous parle dans cet entretien d’une expérience inédite, ainsi que des tenants et des aboutissants de l’éco-tourisme.
La Nouvelle tribune : Avant de revenir sur votre propre expérience, est-ce que vous pouvez nous expliquer, de manière générale, ce qu’est le tourisme durable ?
Zineb Datchary : Pour nous, le tourisme durable signifie avant tout l’éco-tourisme, c’est-à-dire un tourisme lié à la nature, respectueux des lieux et des personnes qui y vivent, respectueux aussi des visiteurs qui nous font confiance pour venir découvrir le Maroc. Nous travaillons sur un secteur très ciblé et très peu présent chez les autres opérateurs du tourisme. D’abord, à travers notre agence « Désert et Montagne Maroc» qui propose des séjours à thème, en offrant au visiteur une expérience unique. Rencontrer les femmes des hautes vallées de l’Atlas, séjour que nous sommes les seuls à proposer, accompagner la transhumance annuelle des nomades Aït Atta, séjour que nous avons été pionniers à mettre en place, vivre des grandes traversées chamelières de 3 ou 4 semaines et même de plusieurs mois, type de séjour que là encore nous sommes les seuls à proposer, sont autant de services que nous sommes fières de proposer.
A côté de l’agence, nous avons notre maison d’hôte Dar Daïf qui a aussi de nombreuses particularités. C’était la première maison d’hôtes au Sud de l’Atlas, il y a 17 ans. Ce fut la 1ère maison d’hôtes labellisée Clef Verte au Sud de l’Atlas.
Qu’est-ce qui distingue Dar Daïf des autres maisons d’hôtes, de plus en plus nombreuses aujourd’hui ?
Nous proposons un concept d’hébergement qui permet d’accueillir les familles sans supplément, tout en conservant un espace privé pour les parents et les enfants, et ce dans plusieurs catégories de chambres, donc pour tous les budgets. Nous proposons également un véritable accueil de qualité avec des produits nobles utilisés dans la cuisine et dans les chambres, des produits écologiques, issus des marchés locaux comme le miel, les confitures, le cumin, le safran, les huiles d’olive et argan… Notre intention est de préserver et mettre en valeur le patrimoine naturel, culturel, humain, culinaire des territoires du Maroc et ainsi de participer pleinement à leur développement.
Cet engagement implique l’ensemble de notre équipe et nécessite une prise de conscience réelle, des formations diverses et périodiques, ainsi qu’une perpétuelle amélioration de nos comportements et de celui de nos hôtes.
Pour nous, le tourisme solidaire, c’est avant tout une éthique professionnelle. Tous les membres de notre équipe -65 personnes- sont salariés et déclarés. De plus, nous avons monté une association afin de venir en aide aux populations que nous rencontrons au travers nos randonnées.
Est-ce que vous pensez que les gens sont conscients de l’intérêt de cette catégorie de tourisme ? Qu’en est-il de la demande, est-ce qu’elle reflète cette prise de conscience ?
Il faut d’abord comprendre que le concept de tourisme responsable est quelque chose de nouveau dans la vie des Marocains. Pour qu’une prise de conscience puisse s’installer durablement au Maroc, je pense que c’est à l’école de jouer le rôle le plus important, en organisant la sensibilisation auprès des jeunes générations. On devrait penser à organiser des sorties pour permettre aux élèves de découvrir la nature magnifique de leur pays, en leur faisant visiter les parcs nationaux, les musées qui montrent le patrimoine de leur propre histoire.
Un autre outil est important pour faire découvrir le tourisme responsable : c’est bien évidemment la télévision. Il faut prévoir plus de reportages pour sensibiliser la population sur le tourisme dans ces régions. Des conférences, des rencontres, des débats, permettraient également d’élargir le rang des intéressés. Bref, il faut faire avancer les mentalités pour que tout le monde comprenne que ce nouveau tourisme, responsable et durable, est tout simplement l’avenir du tourisme pour le Maroc.
Parlez-nous un peu de vos débuts. Qu’est-ce qui vous a incité à vous intéresser à ce type de tourisme ? Avez-vous reçu un soutien quelconque ? Sinon, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
Nous avons choisi, Jean-Pierre et moi-même, de nous installer au Maroc il y a plus de 20 ans. Ensemble, nous avons d’abord bâti notre propre gîte. Pour cela, nous avons restauré lentement cette maison, où nous invitions nos premiers clients pour les treks et les traversées chamelières à venir boire un thé et manger un couscous. Nos amis nous ont alors suggéré de créer une ou deux chambres pour les accueillir plutôt que d’aller à l’hôtel. C’est ainsi qu’année après année, notre maison avec ses quelques chambres est devenue une véritable maison d’hôtes, Dar Daïf, et fonctionne comme un caravansérail où se croisent chameliers, guides, chauffeurs et voyageurs de passage.
Vous avez une expérience de plus de 20 ans. Pensez-vous que le tourisme vert, équitable et solidaire, pourrait se développer, ou restera-t-il toujours une niche ? Y-a-il des mesures à prendre pour encourager ce genre d’initiative ?
Je suis convaincue que ce tourisme-là a un bel avenir devant lui, d’abord parce que de plus en plus de personnes sur la planète sont motivées par un tourisme responsable, un tourisme vert respectueux de la nature. En Europe, la prise de conscience est aujourd’hui profonde et au Maroc, peu à peu, les Marocains s’ouvrent à cette nouvelle conscience écologique. Mais soyons conscients que le chemin est encore long ici au Maroc pour que le tourisme soit véritablement, et partout au Maroc, un tourisme vraiment responsable. Fort heureusement, les autorités du pays, le ministère du Tourisme en tête, font tout ce qu’elles peuvent pour faire avancer les consciences et faire bouger les comportements. Le plus difficile est aujourd’hui que ces changements s’appliquent dans les territoires, auprès des administrations locales, auprès des habitants, des entreprises, de l’ensemble des acteurs qui font que le tourisme existe. Nous devons construire une chaine de valeur parmi tous ces acteurs, qu’ils soient du secteur public ou privé, avec un effort de sensibilisation et une exigence de qualité permanents.
Le chemin à parcourir semble encore très long !
C’est difficile mais pas impossible. Cela demande du temps et de la volonté. Mais notre plus grand atout, c’est le Maroc lui-même, car le Maroc est un pays où la Nature rayonne d’elle-même, et cela, c’est la raison d’être du tourisme vert. A nous de protéger ce Maroc-là et de le faire connaitre.
Vous êtes la première femme guide de montagne au Maroc, vous exercez depuis 25 ans. Qu’est-ce que vous le plus marqué durant toutes ces années d’exercices ? Et quelles sont les contraintes du métier de guide au Maroc ?
Je suis en effet la première femme guide de montagne au Maroc. J’ai passé l’examen trois fois de suite, et la première fois j’étais la seule candidate femme parmi une centaine de candidats. Il faut dire que c’est un métier où les hommes ont toujours pensé être les seuls, mais tout d’un coup, les femmes sont arrivées et cela n’a pas été sans problème. Je vais vous raconter une anecdote que je n’ai jamais pu oublier. En passant l’épreuve orale de l’examen, une personne du jury m’a dit : « Est-ce que vous ne savez pas que le métier de guide est réservé aux hommes et que les femmes sont plus destinées à devenir infirmière ou institutrice ? ». Cela en dit long sur les problèmes que j’ai rencontrés pour m’imposer dans cette profession.
Ceci dit, ce métier est pour moi une passion et m’a permis de découvrir mieux mon pays, car le Maroc regorge de paysages et de lieux différents. Mais s’il y a une chose qui m’a marqué, c’est que depuis ces 25 années d’activités, je n’ai jamais accompagné un groupe de Marocains ou en provenance d’autres pays arabes. Et c’est finalement très triste de voir que les Marocains ou les arabes en général ne s’intéressent pas à la nature. J’espère que cela va changer avec le temps, car il y a là une source importante d’activités pour notre profession qui aujourd’hui souffre des problèmes internationaux.
Parlez-vous des problèmes liés au terrorisme ?
En effet, certains européens sont réticents à venir visiter le Maroc, et nous n’avons de cesse de leur expliquer qu’au contraire le Maroc est le seul pays du Sud de la Méditerranée où règnent la tranquillité et la sécurité. Alors oui, notre profession de guide rencontre des difficultés, mais oui le potentiel est énorme car au bout du compte beaucoup de personnes ne connaissent pas le Maroc Nature dans sa profondeur et sa diversité, dans sa beauté et sa grandeur. Et je suis là, avec Jean-Pierre et toute notre équipe, pour leur donner cette chance d’une rencontre vraie avec le Maroc.
Entretien réalisé par Leila Ouazry
@LNT.MA
